Les Fournier

Publié le 23 septembre 2020 - Dernière modification le 23 septembre 2020.

L’ancêtre des Fournier dont les descendants sont du nombre des fondateurs de Manche-d’Épée se prénomme Nicolas ; il est originaire de Marans, ville de l’ancienne province d’Aunis appartenant au département français de la Charente-Maritime. Son existence est d’abord révélée par la liste des passagers du navire Noir de Hollande sur lequel il s’embarque, en avril 1664, à l’âge de 22 ans, à destination de la Nouvelle-France. Six ans plus tard, il épouse Marie Hubert ; le couple aura six enfants. C’est le plus jeune de leurs garçons, Jacques, arrivé dans Bellechasse au début du 18e siècle, qui est le père des deux lignées associées à la fondation du village, 150 ans plus tard. Essayons de voir le chemin qu’ils ont parcouru pour venir jusqu’ici.

À propos de Nicolas l’engagé

C’est avec en poche un contrat de « trente-six mois », expression par laquelle on désignait les engagés, que Nicolas part de La Rochelle pour s’en venir travailler en Nouvelle-France, où il débarque le dimanche 25 mai 1664. Selon les lois en vigueur dans la colonie, les immigrants sont tenus de remplir cette obligation de trois ans au service de leur employeur, moyennant salaire, avant de songer à s’établir ou encore de retourner dans la métropole1. Le premier emploi du jeune homme le conduit, en qualité de domestique, chez le sieur Louis Fontaine, qui est pilote de navires. Au terme de ce mandat, Nicolas s’engage de nouveau, en 1667, pour une même durée de trois ans auprès du taillandier Jacques Hédouin2 à Charlesbourg.

La date de son arrivée le place au troisième rang parmi les Fournier venus en Nouvelle-France derrière Guillaume (vers 1651) et Jacques Fournier de La Ville (1657)3; toutefois, il vient après Guillaume, qui lui aussi a une descendance en Gaspésie, nous le verrons, en ce qui regarde l’importance de la postérité qu’il a laissée sur le continent. Son deuxième contrat terminé, ce qui lui fait donc six ans d’expérience, Nicolas se plaît dans la colonie au point qu’il décide de s’y installer et de s’y marier.

Ses origines à Marans

Mais avant d’aller plus loin, revenons à Marans pour en savoir plus long sur ses origines et celles de sa famille, car la rareté des archives a rendu la reconstitution de leur généalogie difficile pour les chercheurs. Le nom du père et la date de naissance de Nicolas les mènent à travers des rebondissements : mes premières lectures disaient qu’il était le fils de Hugues et de Jeanne Huguet (ou Huguette) et qu’il avait 24 ans en 1666, donc né en 1642. Plus loin, on écrit pourtant qu’il décède en 1687 à l’âge de 55 ans, ce qui le fait naître en 1632. L’erreur s’est un temps retrouvée dans les sources généalogiques4. Puis, un document intitulé L’origine française de Nicolas Fournier (1642-1687)nous propose un récit de recherches effectuées sur une période de plus de 20 ans par Marcel Fournier, généalogiste, descendant de Nicolas, qui nous apporte des renseignements éclairants étayés d’archives, récit qui mérite qu’on s’y attarde.

En bref, à la fin des années 1970, le généalogiste se met en frais de découvrir les origines de son ancêtre. La première mention de Nicolas apparaît sur la liste des passagers du Noir de Hollande, avec celles de 49 autres colons engagés pour trois ans. Pour ne simplifier en rien les choses quant à son âge, le premier intéressé déclare avoir 24 ans lors du recensement de 1666, tandis que, 15 ans plus tard, lors du recensement de1681, il prétend n’avoir que 30 ans ; il serait ainsi né en 1651. De plus, son contrat de mariage de 1670 ne comporte aucune mention de son âge.

En possession de ces simples éléments, Marcel Fournier se rend dans les registres de l’État civil de la Charente-Maritime et à l’hôtel de ville de Marans pour constater que les archives ne lui révèlent rien au nom de Hugues ou de Nicolas. Plusieurs années plus tard, sur un site des mormons, il découvre une référence au nom de son ancêtre. Mais, étant un chercheur qui ne se fie pas aux premières indications, il va consulter les fichiers au centre de recherche de ce mouvement et, après plusieurs démarches, il doit conclure que les données en question ne sont pas fondées. C’est alors qu’il s’adresse à l’Institut francophone de généalogie et d’histoire de La Rochelle (IFGH) pour éclaircir le dossier. En mai 1997, l’Institut lui communique des renseignements relatifs à la famille Fournier de Marans. Il s’en dégage ce qui suit : la recherche, certifiée par des copies d’actes, permet d’affirmer que le couple de Pierre (et non de Hugues) Fournier et de Marie Huguet de Marans a eu au moins six enfants dont cinq apparaissent dans des répertoires, à commencer par l’aîné qui naît en 1628 ainsi que deux filles décédées en bas âge ; à ces enfants, les archives canadiennes permettent d’ajouter le nom de Nicolas Fournier, né à Marans en 1642 et baptisé à l’église Saint-Étienne5, année qui est celle, pour mémoire, de la fondation de Montréal.

Une certaine énigme demeure tout de même : pourquoi Nicolas déclare-t-il lors de son mariage que son père s’appelle Hugues alors qu’il se prénomme Pierre ? Pour l’IFGH, il s’agirait en réalité d’une erreur de transcription attribuable à la proximité dudit prénom avec le nom de sa mère, Huguet. À l’occasion de son mariage, il affirme aussi que ses parents sont décédés, mais l’état des archives ne permet pas de fournir la date de leurs décès. On ne connaît pas non plus le métier de son père. Ceci étant, la clarté de l’argumentation de Marcel Fournier et le fait qu’elle repose sur des documents conservés, comme il le précise, à l’ISGH, conduisent à la conclusion que le père de Nicolas s’appelait bel et bien Pierre ; celles et ceux qui s’étaient habitués à l’idée qu’il s’agissait plutôt de Hugues ont le loisir de reconsidérer leur point de vue, ce qui vaut aussi pour la date de naissance de Nicolas qui ne peut être que 1642. Enfin, comme il est fréquent que l’on associe un nom de famille et une activité, le patronyme Fournier découle du nom de celui qui utilisait le four à pain dans son métier, le « fornier » en ancien français.

Marans en ces temps-là

Le département de la Charente-Maritime se situe dans le sud-ouest de la France, sur la côte atlantique. Marans, qui signifie lieu de mer, a une histoire très ancienne qui remonterait au 10e siècle ; la ville se trouve à environ 6 km de l’océan et à 23 km de La Rochelle dont le port a joué un rôle prépondérant dans la colonisation de la Nouvelle-France. Souvenons-nous que Champlain, le fondateur de Québec, est originaire de Brouage, une vieille commune située dans le même département.

Marans est à l’origine une île calcaire dont les alentours sont drainés dès l’époque médiévale (au 13e siècle) pour former des marécages qui deviendront ensuite des marais desséchés. Comme le résume un historien de la ville, en 1854, il a fallu entourer de fortes digues une grande quantité de terrains submergés dans les hautes marées, ou inondés pendant les deux tiers de l’année6 pour isoler la zone habitée. L’assèchement s’est poursuivi jusqu’au 18e siècle. La ville se retrouve ainsi au cœur d’un réseau de canaux et est traversée par un petit fleuve, la Sèvre niortaise.

Le bourg était défendu par un château construit au 10e siècle et au milieu duquel s’écoulait un courant d’eau de mer. Il a par conséquent été un site militaire qui a exercé un rôle d’importance dans les guerres de religion qui ont opposé les huguenots protestants aux catholiques dans la deuxième moitié du 16e siècle et dont les opérations se font sentir à Marans au moins jusqu’en 1638. Il représentait une place de sûreté et d’approvisionnement pour les protestants de La Rochelle, au cœur du conflit.

L’église Saint-Étienne date du 12e siècle ; elle a souffert des guerres de religion qui l’ont lourdement abîmée. Ce qui joue en sa défaveur au fil des ans selon les observateurs, c’est qu’[elle] soit placée en dehors de la ville ; elle est assez vaste, et son clocher, quoique peu élevé, s’aperçoit de très loin7. Pour cette raison invoquée de l’éloignement, la fabrique décide d’en construire une nouvelle au début du 20e siècle et l’ancienne est laissée à l’abandon. En partie démolie, seule la base romane du clocher est classée monument historique. Lors de son mariage, Nicolas déclare être originaire de cette paroisse ; tout indique qu’il a fréquenté cette église jusqu’à son départ. Quant au château, il n’aura pas eu l’occasion de le voir puisqu’il a été détruit, en 1638, soit quatre ans avant sa naissance, sur ordre de Richelieu. On évalue que les provinces de la Saintonge et de l’Aunis comptaient environ 80 000 protestants en 1660, à l’époque de la jeunesse du futur expatrié.

Religion et patois

Une guerre qui dure aussi longtemps pour une raison aussi sensible que les croyances religieuses ne peut que laisser des traces profondes : d’ailleurs, la persécution des huguenots se poursuivra jusqu’en 1789, la révolution accordant alors la liberté de religion. La famille Fournier, à n’en pas douter, est catholique comme en témoignent les certificats de baptême et de sépulture de ses enfants Jean, Mathurine et Françoise retrouvés dans les archives de la paroisse Saint-Étienne ; considérant qu’il est interdit aux protestants d’émigrer en Amérique du Nord à partir de 1628, Nicolas n’aurait pas pu dans tel cas obtenir de contrat. Enfin, son mariage est inscrit dans les registres de la paroisse de Notre-Dame de Québec. Pour les huguenots qui voulaient partir, le témoignage de Marie Girard venue s’installer avec son mari Isaac Bédard nous apprend qu’il demeurait une solution : pour éviter que des désordres d’ordre religieux ne compromettent le développement de la colonie, le cardinal de Richelieu imposait la foi catholique à ceux qui s’embarquaient pour la Nouvelle-France. Comme plusieurs autres, notre famille a dû se convertir au catholicisme avant de quitter La Rochelle8.

Sur un autre plan, il serait bien étonnant que la famille Fournier parle couramment le français, parce qu’il ne s’étendait pas alors encore à toutes les provinces de France, souvent riches de patois distincts9. Dans cette partie du pays qui inclut le Poitou et la Saintonge, le patois tient compte de la convergence des deux identités et se nomme le poitevin saintongeais. On s’imagine un peu sa sonorité quand on sait qu’il a beaucoup influencé la langue en Acadie ; le parler de La Sagouine pouvait s’en inspirer10. Pour aller plus en détail, remarquons qu’il y avait dans la province d’Aunis un patois local, et qu’un glossaire est encore disponible. Les immigrants, qui pour la plupart parlent chacun leur patois à leur arrivée en Nouvelle-France, se doivent d’adopter le français qui devient la langue de la majorité et la seule façon de communiquer entre tous. Le français s’est imposé comme langue unifiée de la population plus tôt au Québec qu’en France.

Enfin, la population de la ville de Marans est d’une étonnante stabilité : de 4400 habitants qu’elle était en 1793, elle est aujourd’hui (2017) de 4497 habitants, n’ayant connu que de relatives fluctuations pendant cette période. Une tendance aussi lourde permet de croire qu’elle était la même ou presque, en 1642, à la naissance de Nicolas.

Au départ de La Rochelle

Entre 1630 et 1759 — ce qui correspond à peu de choses près à la durée véritable de la colonie —, aucun autre port de France ne voit partir autant de navires à destination de la Nouvelle-France que La Rochelle. Les marchands de la ville veulent tirer profit du commerce que présageaient cette possession ainsi que les Antilles ; La Rochelle s’affirmait comme une place financière importante du trafic atlantique11. Toutefois, les luttes religieuses, en particulier le siège de la ville par les catholiques en 1628, ont réduit le potentiel des armateurs protestants. Trente-cinq ans plus tard, en 1664, au moment où Nicolas s’embarque, la ville ne comptait qu’une vingtaine de navires de 100 tonneaux12, dans ce qui constituait un creux de vague.

L’année 1628 est aussi celle où les frères Kirk ont occupé Québec, au nom de l’Angleterre, guidés par un pilote huguenot du nom de Jacques Michel, en représailles contre la prise de La Rochelle par la royauté catholique. Le complot se dénoua en 1632, et malgré cet événement et le maintien de l’interdiction d’accès à la colonie aux protestants, les marchands catholiques n’avaient d’autre choix que de faire des alliances avec ces derniers parce qu’ils possédaient une force économique. Champlain, lui-même né dans une ville qui a alterné entre des prises de contrôle catholiques et protestantes, a trouvé à composer avec la situation jusqu’à sa mort en 1635. Vers la fin du régime français, plus particulièrement de 1727 à 1759, 30 % des navires de La Rochelle appartenaient à des protestants.

Le voyage de Nicolas

À quoi pense Nicolas en ce matin d’avril lorsqu’il monte dans la chaloupe qui le conduit à bord du Noir de Hollande attendant ses passagers dans une rade du port à l’abri d’une brise du large ? Il laisse vraisemblablement derrière une sœur et deux frères plus âgés que lui. Étant donné qu’il part avec un contrat d’engagé en main, il envisage peut-être au terme de celui-ci de rentrer au pays dans trois ans comme le font 83 % d’entre eux. Il serait bien aventureux de spéculer sur ses intentions de même que sur ce qu’il sait des conditions de vie qui seront les siennes à destination. Sans connaître ses raisons personnelles, il est cependant établi que les migrants vont dans les colonies pour continuer à exercer les fonctions ou les métiers qui sont déjà les leurs chez eux. On ne part pas au bout du monde sans formuler un rêve, par exemple fuir la misère, ou plutôt trouver un « mieux-être », c’est-à-dire de meilleures conditions d’existence13. Et parmi ces conditions, il ne faut pas négliger le désir d’être libre dans un pays immense et neuf, de s’affranchir de la tutelle de l’État, de l’église catholique ou protestante et du conformisme social14, à cette époque déjà comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Autant les missionnaires ont pour ambition de convertir les « sauvages », autant leurs concitoyens semblent au contraire ressentir le besoin de se délester du poids religieux, comme nous l’apprennent les dépouillements des inventaires après décès qui révèlent la présence de peu d’objets de piété.

Ce qui est bien documenté par ailleurs, ce sont les conditions des voyageurs à bord des voiliers qui les emportaient à Québec. Tous les témoignages révèlent leur inconfort : à l’encombrement humain s’ajoutaient l’humidité, le froid et la pénombre d’une cale bien remplie. S’y entassaient les barriques d’eau douce, de vin, de denrées […], mais aussi les effets de l’équipage, le matériel destiné à effectuer les réparations à bord de la cargaison qui occupait un volume important15. Dans tout ce branle-bas, le passager devait s’assurer qu’on avait bien embarqué ses biens personnels selon le métier qu’il allait exercer dans le Nouveau Monde. Il est établi que chaque colon emportait avec lui, dans un ou plusieurs coffres, des objets de la vie quotidienne nécessaires à son établissement : vêtements, linges, lampes, ustensiles et outils indispensables à l’exercice de son métier16. Dans le cas de Nicolas, qui part occuper un emploi de domestique, cela nous laisse imaginer que son bagage se limitait avant tout à des choses d’utilité personnelle.

L’engagé est tenu de remplir fidèlement ses obligations au service de son maître et il ne peut le quitter sans la permission de celui-ci, sauf quand le contrat arrive à sa fin. La colonie a besoin d’hommes en mesure de travailler fort ; à ce sujet, en 1664, le Conseil souverain ordonne le retour en France de personnes inhabiles à travailler, ainsi que celles « qui sont à charge au pays »17. Plus tard, en 1667, l’intendant Talon écrira à Colbert pour lui demander que les hommes soient âgés de 16 à 40 ans, afin qu’ils soient en mesure de s’adapter aux conditions de vie.

Le recours à la formule de l’engagement pour intéresser des gens de métier à la colonie poursuit un objectif de peuplement : pour rendre la proposition plus alléchante aux yeux du candidat, on prend en charge le coût de son voyage, sa nourriture et son salaire pour la durée de son contrat. Sans négliger que le continent présente des conditions rigoureuses pour le nouvel arrivé, il faut de plus remarquer que la Nouvelle-France est hélas à cette époque un territoire de batailles entre le colonisateur, qui débarque sans lui demander son avis, et l’autochtone qui y est établi depuis 12 000 ans. Sur fond de commerce des fourrures, les Français épousent la cause des Hurons et de leurs alliés, qui les approvisionnent en peaux, s’aliénant ainsi les ennemis traditionnels de ces derniers, les Iroquois, qui leur déclarent la guerre, à partir de 1640 environ, avec le soutien des Hollandais puis des colons anglais. Ces guerres, qui ont connu des périodes d’accalmies, prendront fin avec la signature de la Grande paix de Montréal en 1701.

Il est fort possible que Nicolas ait un jour fait la comparaison entre la population de la colonie (soit Québec, Montréal, Trois-Rivières et les autres lieux habités par les colons, qui ne comptait que 3215 habitants européens, en 1666), et celle de Marans avant de prendre la décision de rester !

Agriculteur à Bourg-Royal

Son deuxième contrat terminé, Nicolas désire se marier, mais encore lui faut-il rencontrer une fille prête à écouter sa proposition. Dans la Nouvelle-France de ces années-là, la chose n’est pas facile ; au contraire, on peut même dire que la situation est tragique : en 1666, lors du recensement, on dénombre 719 célibataires masculins âgés de 16 à 40 ans et seulement 45 filles célibataires des mêmes âges18, soit une femme pour 16 hommes. Les autorités sont conscientes des risques que ce déséquilibre fait courir à la stabilité sociale. La solution trouvée est de recruter de jeunes filles à qui le roi paie non seulement le coût de la traversée, mais procure quelques biens à mettre dans leur bagage par exemple des habits, une coiffe, des aiguilles, un peigne, des bas, des gants et un peu d’argent. Voilà pourquoi on les appelle les filles du Roy. Entre 1663 et 1673, la colonie accueille 800 de ces filles, dont un peu plus de la moitié sont des orphelines et la majorité a moins de 25 ans. Comme les autorités cherchent des filles jeunes et saines, il est normal de retrouver 76 filles âgées de 12 à 15 ans19, dit un historien sans broncher ; effectivement, même au siècle dernier, le mariage de très jeunes filles était chose assez fréquente et admise.

Marie Hubert

Dans le contexte où se déroule leur arrivée, au cours de l’été, les fréquentations ne traînent pas en longueur, puisque les mariages ont lieu pour la plupart avant octobre. En 1670, parmi un contingent de 120 filles à marier, se trouve la jeune Marie, fille de feu Pierre Hubert et de Bonne Brie (ou Brio) qui vient de Paris, ville où la population est évaluée à 500 000 habitants. Même si la capitale n’est pas alors ce qu’elle est devenue, Marie est tout de même une citadine de 15 ans qui devra apprendre à vivre dans un pays neuf, avec un mari de 28 ans, dont elle vient tout juste de faire la connaissance. En effet, le 8 septembre 1670 [Nicolas] se rend chez le notaire Paul Vachon en compagnie de sa future épouse Marie Hubert, une fille du roi, née vers 1655 dans la paroisse Saint-Sulpice de Paris20. Le mariage a lieu le 30 septembre dans la chapelle de Beauport, mais jusqu’à l’ouverture des registres dans les paroisses, les mariages sont consignés à Notre-Dame de Québec.

Bourg-Royal

L’histoire nous dit que le couple s’installe à Bourg-Royal, non loin de Beauport, au nord de la ville de Québec, en direction du Village Huron. Bourg-Royal a été fondé par Jean Talon, que l’on appelait aussi Bourg-Talon, devenu une propriété personnelle de l’intendant. En 1670, Nicolas y achète une terre de 40 arpents dans ce village en étoile : tracé sur le modèle des Jésuites, il comporte au centre une réserve ou commune à laquelle s’aboutent des terres d’un front de cinq perches (1/2 arpent) et d’une largeur de quatre arpents à l’autre extrémité, soit 40 arpents de superficie21. Par la suite, il agrandit sa propriété en y ajoutant 40 arpents en 1682 et un autre lot de 40 arpents en 1684. Si le métier d’agriculteur n’a rien de facile de nos jours, on peut sans risque considérer qu’il ne l’était pas non plus au 17e siècle. Les autorités de la colonie ont pour objectif que les familles atteignent l’autosuffisance. Les habitants cultivent des céréales et Nicolas, peut-être inspiré par ses souvenirs de Marans où le blé prédominait, lui accorde-t-il la prépondérance sur sa grande propriété ?

Sur cette terre, il construit une maison, et pourquoi ne ressemblerait-elle pas à cette autre dont nous avons la description fournie par une résidente : notre maison de bois de cèdre mesure 20 pieds par 20 (6 m). Avec des murs de 10 pieds (3 m) de haut, elle est couverte d’un toit à deux versants. Toute la famille vit au rez-de-chaussée et sous les combles où il fait chaud l’été et froid l’hiver22. S’agissant de famille, celle de Marie et de Nicolas sera de six enfants, je l’ai dit, à commencer par une fille qui se prénomme Marie née en 1672. Viennent ensuite Michel (1674), Ambroise-Françoise (1678), Jean-Baptiste (1680), Jacques (1684), dont il sera question plus loin, et Jeanne en 1687.

Le meunier Déry

La vie à Bourg-Royal suit son cours. Les cultivateurs ont besoin d’un moulin où moudre leur grain. Fort du témoignage de Madeleine Têtu, femme de Jean Joubert, meunier, celui-ci fait tourner le moulin à vent de Jean-Talon à Bourg-Royal en 1669 ; puis, dit-elle, il va travailler à Trois-Rivières, en 1681. L’histoire du bourg nous apprend aussi que Madeleine Philippeau et son mari Maurice Déry s’y installent en 1679. Toujours selon le témoignage de Madeleine Têtu, son mari, de retour en 1692, a loué le moulin de Bourg-Royal du meunier Maurice Déry23. Tout dans ce récit nous permet de déduire que Maurice Déry a été le meunier de Bourg-Royal quelque part entre 1681 et 1692. Il y a fort à parier, en poursuivant selon cette déduction, que Nicolas Fournier, en tant qu’agriculteur, a été un usager du moulin de Maurice Déry. Alors, qui est ce monsieur Déry ? Il est l’ancêtre d’une longue descendance dont un fils de la neuvième génération, prénommé Émilien, épousera Florence Pelchat, en 1948, et s’installera à Manche-d’Épée où il côtoiera les descendants de Nicolas. L’expression dit que le monde est petit ou encore, comme le formulait le sociologue Marcel Rioux, que le Québec est une société tricotée serrée ; de 1681 à 1948, il aura fallu 277 ans pour renouer les fils d’une histoire pourtant improbable.

La veuve et les orphelins

Le couple Marie et Nicolas qui a trois garçons et trois filles accueille la dernière, Jeanne, le 30 septembre 1687. Le malheur veut que Nicolas décède deux mois plus tard, le 30 novembre 1687, à l’âge de 45 ans. Ses funérailles sont célébrées à Charlesbourg, le lendemain, 1er décembre.

Marie Hubert se retrouve donc veuve à 32 ans avec des enfants dont l’âge varie de 15 ans pour l’aînée à deux mois pour la dernière ; on comprend bien, dans le contexte d’une colonie au démarrage, que la perte d’un conjoint qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, est tragique non seulement pour la famille, mais pour la poursuite des travaux agricoles24. Après quatre années d’une telle condition, Marie épouse un soldat nommé Jean Gachet, en février 1691, à Charlesbourg. Il semble que le couple a choisi de rentrer en France, possiblement à l’automne de la même année. En prévision de son départ, Marie Hubert place l’une de ses filles en pension ; il est plausible que ce soit Ambroise-Françoise, qui a 13 ans. Elle laisse ses autres enfants sur la terre avec Michel, l’aîné, qui à 17 ans hérite de la propriété ; il se mariera à 28 ans comme son père, en 1702, et, encore plus jeune que son père, il meurt, en 1711, à 37 ans. Voilà pour l’essentiel l’épisode de la famille Fournier à Charlesbourg.

Un chapitre dans Bellechasse

Les perturbations dans la vie des enfants Fournier sont à prendre en considération lorsque l’on s’attarde aux circonstances qui conduiront trois d’entre eux dans Bellechasse. Au départ, dans la maison de Bourg-Royal, Michel se retrouve responsable de sa sœur Marie et de ses deux frères, Jean-Baptiste et Jacques. On peut toutefois supposer que c’est Marie, l’aînée âgée de 19 ans, qui élève la fratrie : en toute logique, selon les rôles traditionnellement attribués aux hommes et aux femmes, Michel devient pourvoyeur de biens alors que Marie fait fonctionner la maisonnée.

Sauf qu’elle doit penser à se marier avant d’être mise au rang des « vieilles filles ». C’est ce qu’elle fait in extremis, en 1696, à l’âge de 24 ans, pour s’installer, à ce qu’il semble, à Pointe-Lévy.

Dès l’année suivante, en 1697 donc, quand Ambroise dit oui au mariage, à 19 ans, elle est la première à déménager dans Bellechasse, plus précisément à La Durantaye. Qu’advient-il alors de Jean-Baptiste, 17 ans, et de Jacques, 13 ans ? Si toutes les options demeurent ouvertes, nous constatons que le benjamin, Jacques, se marie en 1708, à Beaumont, à l’âge de 24 ans ; Jean-Baptiste fera de même trois ans plus tard à La Durantaye, à 30 ans. Les trois enfants, qui avaient entre treize et sept ans au départ de leur mère, se retrouvent donc domiciliés à peu de distance l’un de l’autre.

Ambroise devenue veuve se remarie à 38 ans, toujours à La Durantaye, et une dernière fois en troisièmes noces, non loin de là, soit à Saint-Vallier. La date de son décès n’est pas connue. Quant à lui, Jean-Baptiste voit sa courte vie se terminer en 1735, à 54 ans.

Pour la suite des choses, tournons-nous du côté de la famille nombreuse de Jacques (15 enfants, dont cinq meurent jeunes) afin d’entreprendre le relevé des lignées des deux fondateurs que sont Joseph-Octave et Florent, lignées qui nous conduiront à Manche-d’Épée. Parmi les fils de Jacques, examinons tout d’abord la descendance de Jean-Baptiste (du prénom de son oncle) né en 1715, qui révèle la branche de Joseph-Octave, et ensuite celle d’Antoine, né en 1725, qui mène à Florent.

Lignée de Joseph-Octave

La reconstitution généalogique qui s’amorce avec Jean-Baptiste et qui conduit à Joseph-Octave s’échelonne sur six générations, lesquelles représentent 130 ans d’histoire, soit de 1715 à 1845.

Jacques, le père de Jean-Baptiste, s’est marié à Beaumont, où il a de toute évidence passé sa vie puisque c’est aussi là qu’il est inhumé. C’est donc à cet endroit que naît Jean Baptiste qui épouse une fille du village, en 1742. Le premier garçon de ce couple, prénommé Joseph, se marie quant à lui à Saint-Charles, en 1768, et il aura six enfants. Bien que né à Beaumont et marié à Saint-Charles, sa sépulture ainsi que celle de sa femme sont cependant enregistrées à Saint-Gervais. Les références à une paroisse ou à une autre sont souvent le fait d’inscriptions dans des registres et non toujours en rapport avec le lieu de naissance, de mariage ou de décès de la personne. Dans ce cas-ci, la paroisse de Saint-Charles n’était pas encore officiellement créée.

Maintenant, abordons la troisième génération de cette lignée avec Augustin, né en 1755 à Saint-Charles ; même s’il meurt très jeune, à 35 ans, il laisse une famille de six enfants, dont un fils qui se prénomme Joseph, comme son grand-père. Et cette tradition d’appeler l’un de ses garçons Joseph reviendra souvent chez les Fournier de cette branche, voyons-le à l’instant.

En effet, le Joseph qui représente la quatrième génération naît en 1802 à Saint-Gervais où habitent ses parents. Ceci est confirmé par une note au dossier généalogique d’Augustin qui spécifie qu’il y exerçait le métier d’agriculteur dans ce village ; il en ira de même pour Joseph et sa femme.

L’occasion est belle de rappeler en deux mots l’existence d’un autre natif de Saint-Gervais, de cinq ans plus jeune que le Joseph dans on parle, à savoir René dit Irénée Pelchat. Il n’est pas exagéré de croire que les relations entre ces deux familles, qui se retrouveront un jour fondatrices de Manche-d’Épée, commencent en ce temps-là.

Le Joseph suivant, fils de Joseph, naît en 1822, à Saint-Gervais lui aussi : son nom ainsi que celui de sa femme, Louise Couture, reviendront souvent dans les pages subséquentes. Ils sont responsables de l’arrivée des Fournier de la descendance de Nicolas en Gaspésie, très probablement en 1850. Mariés à Beaumont, ils ont une famille nombreuse à commencer par leur garçon Joseph-Octave, venu au monde en 1845. Il va sans dire que cette enfilade de Joseph demande beaucoup d’attention, car il est parfois arrivé que l’on confonde père et fils.

Débarqué à Mont-Louis à l’âge de cinq ans, Joseph-Octave épouse Caroline Campion et on les voit, en 1866, prendre possession d’une terre en haut de la rivière.

De Nicolas, en partance de Marans, à Joseph-Octave qui s’installe dans un poste de pêche naissant, nous avons parcouru huit générations.

Lignée de Florent

La remontée de la lignée qui conduit à Florent est un peu plus courte, soit quatre générations sur 95 ans, notamment parce que son précurseur, Antoine, est de 10 ans plus jeune que son frère Jean Baptiste. Antoine est le sixième enfant de Jacques, il est né en 1725 à Bromont. Marié en 1751, il donne le prénom de son frère Jean-Baptiste à son premier descendant, en 1753.

Ce Jean-Baptiste, pour marquer le troisième rang de cette filiation, a l’idée toute simple d’appeler son fils aîné Jean-Baptiste, en 1791. Ce dernier épouse Marie Chabot en 1816, et ils auront un premier garçon (Jean-Baptiste), sauf que ce n’est pas celui-ci qui nous intéresse, mais son petit frère, Florent, qui naît en 1820 à Beaumont. Avant de parler de celui qui incarne la quatrième génération de sa lignée, rappelons que René dit Irénée, et sa femme Angélique Drouin, déménage dans ce village en 1834. De nouveau, imaginons une scène tout à fait plausible et réaliste au cours de laquelle Jean-Baptiste, qui a 43 ans, croise René, qui en a 27, au magasin ou à la forge : l’endroit n’est pas si populeux que tout le monde se connaît. Comme les gens de Bellechasse vont déjà pêcher dans les Bas, peut-être est-il question de la Gaspésie dans leur conversation. Florent, qui a alors 14 ans, entend peut-être pour la première fois parler de ce bord de mer où il partira un jour avec sa femme Victoire Couture : le couple se marie le 17 août 1847, ils ont tous les deux 26 ans.

Plus tôt, on a vu que Joseph Fournier a épousé Louise Couture en 1844. Louise est d’un an plus âgée que Victoire. Sont-elles parentes ? Si oui, quels sont leurs liens ?

Les Couture

Prenons le temps de parler de l’ancêtre Couture, un personnage qui s’est illustré dès les débuts de la colonie. Né en Normandie vers 1618, il arrive en Nouvelle-France vers 1640 : il se nomme Guillaume et il signe parfois Cousture, comme le fait l’écrivaine Arlette Cousture25. L’homme se fait remarquer pour ses relations avec les Hurons d’abord et les Iroquois ensuite. En route vers la Huronie, en 1642, il est capturé en même temps que les pères Goupil et Jogues dont le martyre a fait date dans nos livres d’histoire. Couture est lui aussi soumis à des supplices par les Iroquois. Prisonnier, il développe une influence sur ceux qui ont fait de lui leur serviteur : il apprend la langue et se hisse au statut de chef. À partir de ce moment-là son but est d’établir la paix entre les nations et lorsqu’il croit y être parvenu, en 1646, l’assassinat des pères Lalemant et Jogues, le 18 octobre, rompt les négociations. Il s’installe sur la seigneurie de Lauson, du seigneur propriétaire Jean de Lauson qui réside ailleurs, et il se marie en 1649 avec Anne Aymard venue du Poitou ; le couple aura 10 enfants. Les autorités continuent de faire appel à lui pour des expéditions et des missions diplomatiques, mais à compter de 1665, il ne quitte plus son domaine à Pointe-Lévy et la rive sud où il a été le premier colon à habiter. Il meurt en 1701.

Louise et Victoire sont des descendantes de ce personnage notable par les familles de ses fils, Guillaume (comme son père), né en 1662, tête de lignée pour Louise et Eustache, né en 1667, pour Victoire. Sans parcourir toutes les générations de ces généalogies, précisons que Louise est en bout de course la fille d’Antoine, sixième descendant de son ancêtre, alors que Victoire est la fille de Charles, cinquième de sa lignée. Tandis que les descendants de Guillaume fils se rendent assez tôt dans Bellechasse, ceux d’Eustache n’y viennent qu’après trois générations.

Dans le cas de Louise mariée à Joseph Fournier, deux notes à sa fiche ont attiré mon attention : premièrement, à l’occasion de l’inhumation de sa mère, Angélique Montminy, en 1866, on découvre que son père Antoine est désigné comme mendiant. Que faut-il en comprendre ? Outre le risque d’une ruine personnelle toujours possible, cela peut aussi témoigner de la rudesse des conditions de vie qui poussaient les uns à s’expatrier aux États-Unis ou les autres à se diriger vers la Gaspésie. La seconde annotation concerne la sépulture de ce même Antoine, décédé en 1884 à l’âge de 90 ans : il est écrit qu’il repose à Ste-Marie-Madeleine de Rivière-la-Madeleine. J’y reviendrai.

Après ce survol de la famille Couture, nous savons que les deux cousines éloignées ont épousé les deux cousins Fournier, eux aussi éloignés.

Enfin, je remarque qu’il s’avère difficile de trouver des renseignements sur les descendants de Nicolas Fournier dans Bellechasse, sur leur vie active et familiale, leur engagement dans leur municipalité, leur paroisse, leur présence lors d’événements mémorables, toutes choses qui auraient pu nous rendre leur histoire plus tangible. Une plaque a néanmoins été dévoilée sur la terre ancestrale de Jacques en 2008.

Manche-d’Épée

Voyons un peu de quelle manière les deux arrivants, qui se sont installés dans leur nouveau poste de pêche sans pour autant s’adonner à ce métier, deviennent les ancêtres locaux des familles Fournier.

Joseph-Octave

Quand il se marie avec Caroline Campion, en 1864, Joseph-Octave vit à Mont-Louis depuis déjà 14 ans. Il est arrivé avec ses parents Joseph et Louise, mais aussi avec ses sœurs, Flore née en 1847 et Marie-Louise, en 1849, toutes deux à Beaumont. Ce qui tend à confirmer que le déménagement de la famille s’est effectué en 1849 ou en 1850, c’est que Marie-Louise est de janvier 1849 alors que son frère Édouard naît en juillet 1850 à Mont-Louis, comme ce sera le cas pour les huit autres enfants du couple, jusqu’en 186326.

Issu d’un milieu agricole, il ne faut sans doute pas se surprendre que Joseph-Octave choisisse de bâtir sa maison à l’extrémité de la plaine que longe la rivière, le meilleur site en comparaison où entreprendre ici une vie d’agriculteur à 21 ans. Son premier domicile et sa grange seront détruits par les flammes en 1879. La seconde maison, construite au pied de la montagne, était toujours debout vers la fin du siècle dernier ; on l’a malheureusement démolie sans égards au devoir de mémoire.

Sa sœur Flore et son mari Johnny Campion sont aussi des fondateurs de la première année. Un peu plus tard, leur sœur Marie-Louise les rejoindra avec son mari Antoine Ouellette.

Les parents des Fournier, Joseph et Louise Couture, de même que certains membres de leur famille, ont quitté Mont-Louis pour s’installer à leur tour dans le village naissant. Lors de l’attribution des lots, en 1872, Édouard, qui a alors 22 ans, devient propriétaire de l’un d’eux et une subdivision de celui-ci reviendra éventuellement à son jeune frère Étienne. De même, on sait qu’une portion d’un autre lot au centre du village, en face de l’endroit où s’élèvera un jour le garage, sera la propriété de Joseph où habiteront certains de ses enfants. Le fait qu’Artémise, en 1876, Fortunat, en 1877, et Louis, en 1882, se marient à Rivière-Madeleine, où se trouve alors la chapelle, en témoigne : la tradition voulait que la cérémonie se déroule dans la paroisse de la mariée. (Je note que Louis a épousé Marie-Zélire Bond, fille d’Aubin et par conséquent sœur d’Arthur, mon grand-père, qui avait 5 ans à cette date.)

Leur maison a vraisemblablement été construite entre 1872, année d’acquisition du terrain, et 1876, année du mariage d’Artémise. Cette maison apparaît sur une photo qui date des environs des années 1930 avec, de l’autre côté de la route, le chafaud que Télesphore Pelchat aurait acquis d’Arthur Gagnon en échange d’un bœuf pour loger sa famille au retour de la colonie du Lac-au-Diable. Le grand-père de Slas, comme on l’identifiait, meurt en 1893 et sa grand-mère Louise, en 1905, à Mont-Louis. La maison revient à Stanislas qui se marie en 1894 avec Émérencienne Ouellette. Quand il part du village, il vend la propriété à Alfred Boucher. En raison de la réfection de la route, la maison est défaite puis reconstruite plus au sud. Le lot devient plus tard la propriété d’Alfred Boucher, puis d’Albert Boucher et enfin de Cyrice Côté et Viola Béland27.

Avant l’inauguration de l’église actuelle à Madeleine-Centre et de son cimetière, une chapelle provisoire est élevée à Rivière-Madeleine en 1860, mais détruite par le feu en 1864, puis une seconde, bénite en 1872, est érigée pour desservir la mission. Un cimetière aménagé non loin de la rivière est associé à cette deuxième chapelle en 1874. Enfin, que la sépulture d’Antoine Couture lui ait été donnée à Ste-Marie-Madeleine de Rivière-la-Madeleine en 1884 s’expliquerait par le fait qu’il logeait chez sa fille Louise, où il aurait passé les dernières années de sa vie. Cet homme dont l’ancêtre Guillaume a été un compagnon d’infortune des saints martyrs canadiens repose en sol madeleinoriverain. Notons que Séraphine Pelchat, fille d’Irénée et Angélique, est la dernière personne à y avoir été enterrée, en 1912. Le nouveau cimetière, au nord de l’église, est inauguré en novembre 1913. Celui de la chapelle sera exhumé à l’été 191828.

Joseph-Octave décède le 18 février 1930 à l’âge de 84 ans.

Florent

Selon les sources, on s’entend pour situer l’arrivée de Florent et de Victoire Couture dans le poste de pêche en 1869 ; ils ont quitté Bellechasse depuis peu, comme le révèlent les lieux de naissance de leurs enfants. En effet, Isidore-Émile naît à Beaumont en 1861, tandis que sa sœur Rébecca est inscrite dans les registres de Sainte-Anne-des-Monts, en 1864 : les livres de Mont-Louis ne débutent qu’en 1867. Alors que Joseph-Octave devient pionnier à 21 ans, Florent s’installe ici à 49 ans.

En 1865, pendant son séjour à Mont-Louis, cet homme dont on ne connaît pas le métier a marié ses deux filles aînées, Odile et Malvina aux frères Boucher, fils de Joseph et d’Apolline Poitras, des résidents de la place. Dans un même ordre d’idées, son fils Eugène, né en 1851, a donc 18 ans lorsque ses parents arrivent ici : il ne tardera pas lui non plus à convoler avec Marie Benette, en 1871.

À l’occasion de l’attribution des lots, Florent devient propriétaire de l’un de ceux qui sont situés dans la plaine de la rivière, voisin de celui qu’occupe Joseph-Octave. Ce sont finalement ses deux filles, Malvina et son mari Eugène Boucher, ainsi que Rébecca et son mari Arthur Lizotte, qui se le partageront pendant un certain temps. Vers 1880, Malvina et Eugène se bâtissent une maison au cœur du village, laquelle, en 1883, deviendra la première école. Les indications sur les cadastres mentionnent que Florent a aussi été propriétaire d’une parcelle de lot au centre du village dans les environs du lieu où Joseph construit sa maison. Odile et son mari Georges Boucher ont pour leur part été propriétaires d’une superficie qui constitue le terrain où l’on implantera plus tard l’hôtel Gaspé-Nord.

Quant à Eugène Fournier, il s’installe sur son lot au pied des côtes et il le fera prospérer en sa qualité d’agriculteur.

Après avoir vendu leur nouvelle maison, en 1883, Malvina et Eugène Boucher auraient séjourné à Mont-Louis deux ou trois ans avant d’émigrer aux États-Unis quelque part entre 1886 et 1889. Odile et Georges, tout comme Florent et Victoire, déménagent aussi au Massachusetts.

Florent décède à Salem le 23 novembre 1898 à l’âge de 78 ans.

La descendance

Joseph-Octave se marie deux fois : avec sa première épouse, Caroline Campion, ils ont huit enfants. Dans l’histoire du village, le nom de Stanislas se distingue parce qu’il a été désigné premier maître de poste, de 1905 à 1928 ; il apparaît aussi dans la toponymie, car une coulée et un lac portent son nom. C’est donc dans la maison héritée de son grand-père qu’il tient le bureau de poste. À la fin de son mandat de maître de poste, Stanislas quitte le village. L’acquéreur de son bien, Alfred Boucher gardera le bureau de poste pendant un an, de juillet 1928 à juillet 1929.

Un autre des fils de Joseph-Octave et de Caroline dont on se souvient est Napoléon, qui épouse Marie Boucher, fille d’Anthime ; ils s’installent à l’ouest de la maison d’école. Napoléon sera le maître de poste de 1929 à 1932. De leur union naissent Wilfrid, Paul-Émile, Émilie et Ernest qui ont trouvé leur place dans la mémoire locale.

Demeure aussi le souvenir de Venant qui a habité le village de son mariage en 1904 avec Aimée Lemieux à son déménagement à Madeleine en 1916. Sa femme, comédienne réputée localement, que l’on appelait Madame Venant, a beaucoup fait pour la renommée du couple.

Du mariage de Joseph-Octave avec Mary Chenel naîtront douze enfants. Deux noms sont présents dans les récits d’ici : d’abord, Calixte, qui fait sa marque dans le commerce du bois en étant propriétaire d’une scierie sur la route du Lac-au-Diable et d’une autre sur la terre familiale, qu’il a héritée de son père. Marié à Aimée Gaumond, ce couple est à l’origine d’une famille qui n’a pas pris racine.

L’autre descendante dont la présence a marqué le village est Maria, unie à Adrien Blanchette ; elle n’a pas eu à partir bien loin puisque la terre des Blanchette se trouvait voisine de celle des Fournier. Quatre de leurs cinq enfants, Germain, Adélard, Armand et Yvette sont des figures qui ont été bien connues.

La descendance de Florent à Manche-d’Épée est incarnée par un homme, son garçon Eugène, qui a épousé Marie Benette. Sur le lot original, leur fils Édouard confirmera cet enracinement. La famille qu’il a fondée avec Lumina Robinson a donné lieu à plusieurs lignées dont voici certains noms : Odilon, Ovide, Gérard, Israël, Joachim, Émilien. Pendant longtemps, leur maison se trouvait au nord de la route ; on l’a déménagée pour l’installer du côté sud par suite des réfections effectuées en 1955. Elle deviendra éventuellement la propriété d’Israël.

L’autre fils d’Eugène et de Marie Benette qui a fait souche est Louis, marié Rose-Anna Gaumond. Il a défriché les terres situées sur les côtes en direction de Madeleine et il a été copropriétaire d’une scierie avec Calixte. Les côtes sont devenues le lieu emblématique de sa famille et la rue qui s’y trouve se nomme la rue Fournier. De leur progéniture on se souvient de Salomon, qui a hérité de la propriété, d’Anastasie et de Jean-Marc.

Un long parcours

Le Nicolas qui monte sur un navire avec son coffre en partance pour la Nouvelle-France ne pouvait soupçonner qu’une dizaine de générations plus tard il aurait engendré autant d’histoires de vie. Le parcours généalogique qui s’achève ne pouvait que survoler des épisodes toujours riches en rebondissements. L’ancêtre est mort jeune et sa veuve a choisi de retourner dans la métropole, sauf que le mouvement de la descendance qui était déjà en marche a trouvé son chemin pour se rendre ici, d’où il est reparti petit à petit.

D’autres porteurs du patronyme Fournier ont émigré en Nouvelle-France et ils ont essaimé des progénitures jusqu’en Gaspésie. Pensons à Guillaume, arrivé en 1634, qui a vécu dans la région de Montmagny et dont certains descendants se sont établis, en 1852, dans un lieu qui deviendra Saint-Majorique. Ces pionniers ont notamment pratiqué la pêche à Grande-Grave. Il appert qu’une autre lignée du même ancêtre est venue s’installer à Grande-Vallée. Les auteurs de cette généalogie ont un jour cru que tous les Fournier de la Gaspésie descendent d’un ancêtre commun : Guillaume, fils de Gilles et de Noêlle Gagnon de Coulmer, département de l’Orne, en Normandie[i]. Il leur aurait fallu chercher un peu plus loin pour apprendre que l’ancêtre Nicolas était lui aussi bien représenté à la même époque sur la côte.

Un intéressant défi serait de reconstituer la vie quotidienne des pionniers dans le village à une date donnée. Par exemple, en 1875, trois couples venus de Bellechasse se côtoient au travail et dans leurs temps libres sur ce territoire qu’ils défrichent : Irénée Pelchat (68 ans) et Angélique Drouin (67 ans),Florent Fournier (55 ans) et Victoire Couture (54 ans) ainsi que Joseph Fournier (53 ans) et Louise Couture (55 ans). Ils sont les aînés du poste de pêche dans lequel ils mettent de l’espoir avec notamment autour d’eux leurs enfants et leurs petits-enfants. Il y a à pêcher, cultiver, bûcher, construire, enfanter, tricoter, tourner de la morue sur le plain, jardiner, bâtir au bord de la mer et dans la montagne sans beaucoup de moyens. Il y a les naissances et les morts, les arrivées et les départs, les joies et les maladies. Bref, pour chacun et chacune il y aurait un récit à recréer et à raconter.

Remerciements :
 
Je remercie Florence Pelchat, Marguerite et Ernest Boucher ainsi que Blandine Mercier de leur collaboration.
 
Je remercie Marlène Clavette pour la révision de texte.

Notes et références

1. Jacques Lacoursière et Hélène Andrée Bizier, Nos Racines, l’histoire vivante des Québécois, Montréal, Les Éditions T.L.M. Inc, 1979, p.173.

2.  Marcel Fournier, L’origine française de Nicolas Fournier (1642-1687), Longueuil, 25 août 1997, 8 pages. (consulté le 16 juin 2020) https://www.fichierorigine.com/dossiers/241572.pdf

3.  L’Association des Fournier d’Amérique, site Internet, onglet Ancêtres, Brefs historiques (consulté le 16 juin 2020) http://www.association-fournier.com/brefs-historiques/

4.  En effet, l’historique détaillé de l’ancêtre Nicolas sur le site des Fournier comporte ces renseignements. De même, une première recherche sur le site Généalogie Québec effectuée en 2016 contenait la même incohérence qui a été depuis corrigée. (consulté le 16 juin 2020) https://www.nosorigines.qc.ca/GenealogieQuebec.aspx?genealogie=Fournier_Nicolas&pid=6881

5.  Marcel Fournier, op.cit., p.6. Cette version fait désormais référence, par exemple dans le répertoire Fichier Origine (consulté le 19 juillet 2020) Voir dans l’album photos. https://www.fichierorigine.com/recherche?numero=241572

6.  Alfred Étenaud, Notice historique sur la ville de Marans, Paris, Imprimé par Henri et Charles Noblet, 1854, p.23. (consulté le 16 juin 2020) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6560790w.texteImage

7.  Op. cit., p.24.

8.  Histoire de raconter : Les premières familles de la paroisse de Charlesbourg, Ville de Québec, 2007,p.11.https://www.ville.quebec.qc.ca/publications/patrimoine/docs/histoire_de_raconter_charlesbourg.pdf

9.  À ce sujet, lire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Poitevin_(langue) (consulté le 16 juin 2020)

10.  Voir à ce sujet : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Sagouine (consulté le 16 juin 2020)

11.  Yves Bergeron et Didier Poton (sous la direction de), La Rochelle-Québec : Embarquement pour la Nouvelle-France, Éditions du patrimoine, Paris, Éditions Artlys, Versailles, 2008, p. 32.

12.  Op.cit., p. 40.

13.  Op.cit., p. 76.

14.  Op.cit.

15.  Op.cit., p. 54.

16.  Op.cit., p. 63.

17.  Jacques Lacoursière et Hélène Andrée Bizier, op.cit., p.175.

18.  Op.cit.

19.  Op.cit., p.176.

20.  Marcel Fournier, op.cit., p.2.

21.  Histoire de raconter : Les premières familles de la paroisse de Charlesbourg, op.cit., p.9.

22.  Op.cit., p.14

23.  Op.cit., p. 5.

24.  Op.cit., p. 12

25.  Raymond Douville, Histoire de Guillaume Couture (1618-1701), (consulté le 16 juin 2020) https://www.famillescouture.com/guillaume-couture/

Voir aussi : https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume_Couture

26.  Les références généalogiques données dans ce chapitre proviennent essentiellement de deux sources, soit le site suivant : http://www.nosorigines.qc.ca/genealogie.aspx?lng=fr

Et : Roland Provost (sous la supervision de), Répertoires, Sainte-Anne-des-Monts, Les Éditions de la S.H.A.M. Les tomes 1 à 11 de ces répertoires généalogiques ont été publiés entre 1990 et 1993, les 12 et 13 en 1996.

Je remercie Laurette Fournier de m’avoir transmis la généalogie de la famille de Nicolas Fournier, la lignée de Florent, qu’elle a établie en septembre 2000.

27.  L’histoire de la maison est racontée par Maria Blanchette dans : Collectif (1979), Les vieilles maisons d’ici, Revue d’histoire et de traditions populaires de la Gaspésie, Gaspé, vol XVII, no 68, p. 194.

Le fait que Stanislas Fournier ait été propriétaire de la maison et qu’elle ait ensuite été acquise par Alfred Boucher a de plus été confirmé par Florence Pelchat et Marguerite Boucher à Blandine Mercier. Elles ont ajouté que le fils de Stanislas, Albert, a aussi été propriétaire d’une maison au même endroit, en retrait de celle de son père. Dans un diaporama élaboré pour souligner l’Histoire familiale des descendants et proches parents de Adrien Blanchette et Maria Fournier Manche-d’Épée, en 2010, leur petit-fils, Mario Lévesque, évoque l’établissement de la famille Fournier au centre du village.

Par ailleurs, l’acquisition du chafaud par Télesphore Pelchat est racontée par Roland Pelchat dans une entrevue vidéo qu’il a accordée à Huguette Boucher le 17 mai 2009.

28.  Pour en savoir davantage sur les cimetières de la paroisse, lire : Marcel Plamondon (1980), Notes historiques sur la paroisse de Madeleine, Madeleine, p. 85

29.  Donat Fournier, « Les Fournier en Gaspésie », Magazine Gaspésie, vol XXIII, no 3, 1985, p.15.

 

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