Au champ d’honneur – épilogue

Publié le 19 mars 2017.

Sans eux que serions-nous devenus ?
Je me souviens
Robert Merle

La population de Rots, qui a subi l’occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, demeure extrêmement reconnaissante envers les soldats qui l’ont libérée, le 11 juin 1944. Lors de la commémoration du 50e anniversaire de cet événement, en 1994, une stèle est érigée en hommage aux différentes unités de l’armée canadienne engagée dans la bataille. Sur une plaque apparaissent les noms des sept soldats du Régiment de la Chaudière tombés sous les coups ennemis, dont celui de Paul Ouellette. Depuis longtemps, les Rotiers cherchent à se renseigner sur ce soldat dont ils ne retrouvent pas la sépulture dans les cimetières militaires de Normandie. La publication de l’article à caractère biographique résumant son parcours sur le site ANNIVERSAIRE DE MANCHE D’ÉPÉE, le 9 janvier dernier, l’a fait connaître.

Reconnaissants par-delà les années

Avec l’intention de remercier les autorités de la commune et de l’Association Cocktail Culture de m’avoir généreusement offert le livre Chronique d’un été brûlant de monsieur Christian Leménicier, sans lequel je ne serais pas parvenu à relater le parcours de Paul Ouellette, je leur transmets l’article dès sa publication. La réaction spontanée et les commentaires chaleureux de mes correspondants établissent tout à coup une liaison entre un village gaspésien et un autre du Calvados heureux de découvrir un héros jusqu’ici demeuré mystérieux à ses yeux.

Le maire adjoint aux Cérémonies, monsieur Thomas Paulmier, historien, petit-fils de prisonnier de guerre, résistant et réfractaire STO (service travail obligatoire), m’écrit : si d’aventure, vous et vos voisins êtes amenés à revenir sur notre territoire communal, merci de bien vouloir nous prévenir afin que nous vous organisions le plus chaleureux des accueils. Il précise que la plaque commémorative sur laquelle apparaît le nom du soldat Ouellette sera modifiée pour indiquer son âge et que l’article à son sujet paraîtra dans le bulletin communal en juin prochain.

Pour sa part, monsieur Joël Aubin, qui est le premier président de Cocktail Culture en 1994 à l’occasion du 50e anniversaire, commence son courriel par ces mots : J’ai lu avec beaucoup d’émotion votre témoignage sur la vie du soldat Paul Ouellette. Toujours engagé dans les commémorations, monsieur Aubin anime deux pages Facebook sur son village et sur la libération; il a mis à ma disposition une documentation dans laquelle je puise pour cet épilogue. Il a diffusé l’article intégralement sur l’une de ses pages1.

Un autre homme actif au sein de l’Association Cocktail Culture, dont il a été le président, monsieur Max Planchon, et coréalisateur du livre de monsieur Leménicier à qui il a transmis l’article, me dit : nous nous recueillons au cimetière de Bény Bocage sur les tombes des soldats canadiens tombés à Rots et nous n’avons jamais pu savoir où se trouvait la tombe du soldat Paul Ouellette […] Voilà qui est fait, cette information nous tombe du ciel.

Peu après, au cours d’une conversation téléphonique, monsieur Leménicier me dit que l’article l’a ramené à des souvenirs de sa rencontre avec le Régiment qui demeurent d’une incroyable vivacité. Comme d’autres aînés, il sent combien il est difficile de maintenir auprès des gens qui n’ont pas vécu les événements ce sentiment de gratitude qu’ils éprouvent. Il a voulu que je lui parle de la Gaspésie et de l’origine de Manche-d’Épée.

Enfin, le vice-président de l’Association, monsieur Abdallah Akremi, qui a été mon premier interlocuteur au sein de l’organisation, a publié sur la page Facebook de celle-ci le lien internet de l’article et des photos qui permettent de mettre un visage sur un nom de soldat déjà connu.

Je tiens à relayer ces commentaires parce qu’il m’importe de partager avec la famille de Paul Ouellette, les gens de Manche-d’Épée et plus généralement les abonnés de ce site les sentiments chaleureux, l’estime éprouvée pour les jeunes hommes qui se sont engagés, sans doute naïvement, mais qui sont allés jusqu’au bout de leur détermination pour la liberté. Une seule conversation permet de constater à quel point cette reconnaissance demeure toujours aussi présente chez les aînés, 73 ans plus tard. L’enjeu est de faire en sorte que ce souvenir soit repris comme un testament au fil des générations. Voilà pourquoi ils déploient beaucoup d’efforts pour associer les plus jeunes à leur compréhension de l’histoire.

Une conscience aiguë de la liberté

Il faut avoir connu l’occupation ennemie pour conserver une conscience inaltérable de la valeur de la libération. Les témoins ont encore en mémoire les violences et les aberrations découlant des menaces de l’envahisseur comme celles des batailles incessantes. Avec le temps, ces témoins et les vétérans sont de moins en moins nombreux pour entretenir le souvenir. Les mentalités évoluent et au fur et à mesure de l’éloignement de la guerre2 se dit l’Association Cocktail Culture, la postérité a besoin de nouveaux repères pour se souvenir.

La stèle des Canadiens

C’est à l’occasion de la commémoration du 50e anniversaire de la libération du village, en 1994, que fut érigée la stèle des Canadiens. Elle a été implantée sur le chemin de la Cavée, site de batailles où de nombreux soldats sont morts. Les trois régiments présents étaient : le Régiment du Fort Garry Horse, le 1st Batallion The Canadian Scottish Regiment, anglophones, et le Régiment de la Chaudière, francophone.

Pour marquer ce 50e anniversaire, d’importantes cérémonies eurent lieu en présence, notamment, d’une délégation de vétérans du Régiment de la Chaudière.

Passage Léon Gagné

Sur un mur de pierres de la stèle se trouve une plaque sur laquelle on peut lire : PASSAGE LÉON GAGNÉ. Ce passage est inauguré en 1994 en présence du premier intéressé. Qui était-il?

Une anecdote rapportée par Germain Nault dans J’ai survécu au débarquement nous apprend, parlant de la bataille de juin 1944, que les civils qui étaient demeurés sur place avaient la vie dure. Certains étaient pourtant là pour nous offrir de quoi nous nourrir. La fille du boulanger était debout dans l’entrée de son commerce et nous donnait de petites miches de pain et des croissants qu’elle avait réussi à cuisiner. Cette dame, un frère d’armes, le sergent Gagné en fera sa femme quelques années après la guerre3. Elle s’appelle Jacqueline, et ils se sont mariés le 5 juin 1947.

L’histoire de Léon n’a pas été faite que de romance. Durant l’hiver 1945, une nouvelle est parvenue selon laquelle le sergent avait été blessé et amputé des deux jambes. Jacqueline a refusé de revenir sur son serment comme son fiancé le lui proposait4. Désormais, ce couple est entré dans l’histoire de Rots.

Relais de la mémoire

Plus tard, lors des cérémonies du 60e anniversaire, la municipalité, l’école et les associations s’engagent à faire vivre l’histoire et à transmettre aux jeunes générations le sens des événements de 1944–19455. Sous le nom de Relais de la mémoire, cela donne lieu tous les cinq ans au rassemblement de jeunes Anglais, Américains, Canadiens, Allemands et Français autour des vétérans et de leurs descendants pour commémorer la libération. Le respect, l’émotion, le bonheur d’être ensemble, le désir d’un avenir fondé sur la paix et l’amitié ont rendu cette manifestation incontournable, peut-on lire sur le site internet de la commune.

L’arbre de l’avenir

Il s’agit d’un arbre fabriqué en 2004 à l’initiative du directeur de l’école, monsieur Alain Delhommeau, pour symboliser le Relais de la mémoire. Composé de quatre parties, dont un tronc qui était sur place en 1944, il se veut un fil conducteur du rassemblement des jeunes de diverses nationalités : une nouvelle branche sera ajoutée tous les cinq ans lors des grandes manifestations qui associent tout le village autour du 11 juin6. Dans ces branches, on insère des messages de paix destinés à être dévoilés au cimetière américain de Colville, le 6 juin 2044, en même temps que la « capsule temporelle » contenant des dépêches et des journaux du 6 juin 1944 en mémoire du général Eisenhower.

Chronique d’un été brûlant

En 2014, au cours des cérémonies du 70e anniversaire, est lancé le livre Chronique d’un été brûlant écrit par monsieur Christian Leménicier qui avait 17 ans en juin 1944. Il a tenu un journal quotidien où il décrit attentivement la participation du Régiment de la Chaudière à la libération. Son récit d’adolescent démontre une réelle admiration pour ces soldats avec lesquels il établit des relations cordiales.

Question de mémoire

Comment faire perdurer notre reconnaissance du sacrifice de ceux qui nous ont permis d’être libres7? Voilà la question qui se pose aux aînés de Rots. En réunissant des jeunes de divers pays, bien sûr, mais le défi de la transmission du souvenir demeure à relever; comment faire en sorte que ce souvenir conserve de sa pertinence au fil du temps sous l’accumulation de l’histoire?

Peu d’entre nous à Manche-d’Épée et forcément à Rots connaissaient le parcours de Paul Ouellette. Je souhaite que le récit de son engagement volontaire ajoute à sa manière une branche sur l’arbre de la mémoire.

Remerciements:

Je remercie Marlène Clavette pour la révision de texte.

Notes et références:

1. Joël Aubin anime deux pages Facebook : une porte sur son village : https://www.facebook.com/aubinjoel1951/et une seconde rend hommage aux soldats venus à Rots : https://www.facebook.com/aubinjoel1944/

2. Site internet de l’association : http://www.cocktail-culture-rots.fr/pages/activites/rots-rendez-vous-44/

3. Marilou et Martine Doyon (2012), J’ai survécu au débarquement; Germain Nault, ancien combattant, se raconte, Les éditions JCL, Chicoutimi, p. 165.

4. Xavier Alexandre, « Rots a fêté Léon, son héros canadien », dimanche 5 juin et lundi 6 juin 1994, coll. :  Joël Aubin 1944.

5. Site officiel de la commune de Rots, Calvados, Normandie : http://www.rots.fr/dossiers/dossiers.php?val=194

6. Op. cit.

7. Site internet de l’association, op. cit.

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