Le bureau de poste

Publié le 9 novembre 2016 - Dernière modification le 20 novembre 2016.

Le bureau de poste était second en importance
dans l’ordre des lieux publics, après le perron de l’église,
et juste avant le poste d’essence. Nous n’avions pas de quai…

Fruits
  Carl Leblanc

Un village fondé par un ancien courrier se trouve-t-il favorisé par le service postal? Ce serait amusant de le croire, mais à l’évidence, la réalité gaspésienne prédomine en ce domaine comme en toute chose. L’accès à une livraison quotidienne, peu importe la saison, ne se confirme que tardivement. Et la fermeture du bureau dans sa 107e année d’existence correspond à peu de choses près au rythme observé aux alentours. Cependant, Irénée Pelchat, le postillon fondateur, aurait sans doute aimé qu’on lui apprenne que ses descendants ont exercé le rôle de maître de poste plus longtemps que quiconque au village.

Les premiers temps

L’évolution du service des postes au Canada est tributaire du progrès des modes de transport. Dès lors, on se dit que la livraison du courrier sur la Côte Nord de la Gaspésie s’effectue au rythme des bateaux, puis à celui de la construction de la route et que, dans un cas comme dans l’autre, cela varie avec les saisons, sans oublier que les bateaux ne font pas escale dans tous les villages.

Timothée Auclair décrit les premiers temps avec la précision qu’on lui connaît : En 1855, il n’y avait pas de service des postes entre Sainte-Anne-des-Monts et Rivière-au-Renard, soit sur une distance de 105 miles (180 km). M. J.B. Sasseville fut chargé en 1855 d’organiser un service bimensuel (…)1. Il ajoute : Barthélémy Robinson, de Mont-Louis (…) fit ce service de 1855 à 1857. Je fus, moi (…) nommé en 1857 et je suis resté en fonction jusqu’en 18602. Irénée Pelchat devient à son tour postillon sur le même trajet avant de fonder Manche-d’Épée, ce qui lui laisse de 1860 à 1865, l’année où il commence à s’installer. Barthélémy et Irénée, tous deux résidents de Mont-Louis, se connaissent assurément. Qu’auraient-ils dit si on leur avait prédit que leurs descendants respectifs seraient mariés à Manche-d’Épée 150 ans plus tard?

Tranquillement pas vite

Cette expression résume sans doute mieux que toute autre la manière selon laquelle le service postal s’est développé sur la côte gaspésienne. Comme le choix du moyen de transport relève de plusieurs considérations : la disponibilité de l’un ou l’autre moyen, la distance et la densité de la population3, on comprend sans peine que la convergence de ces trois variables joue en défaveur du pays de la fin des terres. Par exemple, vers 1830, le littoral est le chemin qu’empruntent les courriers deux fois par hiver pour acheminer la malle de Québec à la Baie de Gaspé4, autrement dit, à pied par le sentier des grèves; de mai à octobre inclusivement, la correspondance est acheminée par bateau5.

Vers la même époque commence une livraison qui emprunte la vallée du Témiscouata pour se rendre dans la Baie-des-Chaleurs, qu’elle suit jusqu’à Percé et Gaspé. Cela prend plusieurs années avant d’obtenir une équivalence au nord. La solution vient avec l’avancement de la route, alors que le gouvernement poursuit vers l’est la construction du chemin du Roi qui longe le fleuve. En 1850, il se rend à Matane et, vers 1866, il atteint Cap-Chat et Sainte-Anne-des-Monts6. Voilà ce qui explique que l’on n’attend pas pour créer un service des postes dont se chargent Auclair, Robinson et Pelchat.

Outre ces trois premiers, le service de postillons se prolonge durant plusieurs années jusqu’à ce que la route et l’augmentation de la population justifient un changement. L’illustration en est qu’en 1858, il y avait donc, sur la Côte Nord de Gaspé, environ 700 personnes7  disséminées le long du chemin maritime entrecoupé de passages à peine ou pas du tout carrossables : c’est seulement avec l’avènement du fameux boulevard Perron qu’en 1930, le service postal devient continu entre Matane et Gaspé. Des automobiles transportent le courrier jour et nuit8. Précisons toutefois que cela n’est vrai qu’en été, de mai à octobre; l’hiver, la route demeure enneigée et le cheval prend la relève, quand ce n’est pas le traîneau à chiens, et cela jusqu’au début des années 1950.

Aller à la « malle »

Il ne faut tout de même pas attendre aussi longtemps pour qu’un premier maître de poste soit nommé à Manche-d’Épée. Un événement d’importance a suivi de peu la fondation du village : alors que le gouvernement britannique administre les postes depuis plus de cent ans, le 1er janvier 1868, après la formation de la Confédération canadienne (…), l’un des premiers ministères est celui des postes9. Comme les postes canadiennes sont le symbole de l’autorité fédérale sur tout le territoire, « d’un océan à l’autre »10, le nombre de bureaux s’accroît rapidement, si bien qu’en 1911, il en existe 13 32411, y compris celui du village, puisqu’il ouvre en 1905.

Barthélémy Robinson, Timothée Auclair, Irénée Pelchat et les postillons qui leur succèdent sont désormais relayés par des maîtres de poste. Bien que leurs rôles diffèrent, ne serait-ce qu’à cause du nomadisme du premier par opposition au pôle de sociabilité que constitue le bureau de poste, ils conservent des dénominateurs communs. Quand il parle de son travail, Timothée Auclair dit : Je recueillais les lettres en route de maison en maison et je les remettais à Tom Sainte-Croix, maître de poste de Rivière-au-Renard, ou à Tom Perrey, maître de poste de Sainte-Anne-des-Monts. Il n’y avait pas de timbres dans la région à cette époque et les gens remettaient au courrier l’argent destiné à payer le port des lettres. Le prix pour une lettre, s’il était payé en la livrant au courrier par l’expéditeur, était de six sous. Le prix était de neuf sous si le port de la lettre était payé par celui qui la recevait. Une lettre envoyée aux États-Unis coûtait 10 sous. J’en recueillais cependant très peu à chaque voyage. La population n’était pas nombreuse et elle comptait peu de personnes qui savaient écrire12.

Dans ces circonstances, Timothée précise, j’écrivais leurs lettres et leur lisais celles qu’ils recevaient13. Sans généraliser, et tenant compte des époques, l’on reconnaît que le maître de poste a un rôle déterminant, surtout dans les campagnes et les petites localités. Il prend sous sa responsabilité le courrier et parfois l’argent de ses concitoyens. Il donne des conseils et remplit les formulaires administratifs pour ceux qui ne savent pas lire ni écrire14. Le bureau de poste devient un lieu d’affluence aux heures de livraison.

Dans les années où l’utilisation du téléphone oblige à une certaine parcimonie, compte tenu du coût des appels interurbains, et en attendant l’arrivée des moyens de communication actuels, le passage du « camion de la malle » suscite autant d’intérêt que la sonnerie d’un cellulaire aujourd’hui : une lettre, un chèque, un colis, le journal, une surprise, tout incite à se précipiter au bureau de poste. Sans oublier que l’acte d’aller chercher le courrier était synonyme de sociabilité15 : « j’ai vu untel ou unetelle qui m’a donné des nouvelles de telle autre… y paraîtrait que… » Dit autrement, par son interaction quotidienne avec sa clientèle, le maître de poste contribue à la sociabilité en milieu rural16. Par beau temps, même les gens les plus éloignés s’accordent le plaisir de venir à pied et parfois de faire un bout de chemin avec un autre qui a mis son ouvrage de côté pour voir si son paquet est arrivé.

De 1905 à 2012, les maîtres et leurs bureaux de poste

Le premier maître de poste de Manche-d’Épée se nomme Stanislas Fournier17. Il est le fils de Joseph-Octave fils et de Caroline Campion, des pionniers venus défricher un lot en « haut de la rivière », dans une prairie entourée de montagnes où se trouvent certaines des plus belles terres agricoles du village. Nous savons de Stanislas qu’il a 33 ans lorsqu’on lui confie ce rôle et qu’il est marié à Émérencienne Ouellette depuis neuf ans; le couple a quatre enfants. Il devient maître de poste le 15 août 1905 et le demeure jusqu’au 29 mai 1928, à l’exception d’une période de quatre mois, en 1920, où le mandat échoit à Jos E. Fournier; il occupe la fonction pendant quelque 23 ans. Où se situe le bureau pendant cette période? Nous l’ignorons. Toutefois, à cette époque, la livraison de la malle demeure peu fréquente. Stanislas se révèle un homme à la réputation bien établie : lors de l’élection du premier conseil de la Fabrique, le 24 mai 1914, il obtient le poste de second marguillier18.

Le deuxième maître de poste est Alfred Boucher qui le reste pendant un an seulement, de juillet 1928 à juillet 1929. Souvenons-nous qu’il est marié à Rose-de-Lima, fille de Louis Pelchat et par conséquent petite-fille d’Irénée, le postillon fondateur.

Napoléon Fournier prend la relève pendant trois ans, de 1929 à septembre 1932. Il est le frère de Stanislas et sa femme se nomme Marie Boucher, une fille d’Anthime. Quand il devient maître de poste, Napoléon a 53 ans. Il habite au centre du village, du côté sud de la route en diagonale avec l’hôtel Gaspé-Nord, vers l’ouest, et la nouvelle école, vers l’est, l’actuelle « Maison à Feda[19]».

C’est le 9 septembre 1932 que Jean-Baptiste Pelchat se voit à son tour confier la fonction qu’il remplit toujours au moment de sa mort, à 59 ans, le 26 mai 1943, soit pendant 11 ans. Ce petit-fils d’Irénée est le premier de sa lignée à occuper le poste. Sa femme Régina prend la relève et elle assume la tâche jusqu’en 1952; dans les faits, leur fille Lucille l’assiste dans le fonctionnement du bureau et lorsque cette dernière part à Montréal, madame Régina décide de passer la main.

De 1952 à 1963, le bureau de poste entreprend plusieurs déménagements, et l’emploi de maître de poste connaît encore plus de rebondissements. Cela commence lorsque le bureau est aménagé chez Eudore Boucher, le 16 septembre 1952, et que sa femme, Hedwidge Cassivi, en prend la charge. Un mois plus tard, il se retrouve dans la maison de Moïse Pelchat où Mathilda Henly sera maîtresse de poste pendant quatre ans, soit jusqu’au 5 octobre 1956. Dans la foulée, Mathias Côté se voit attribuer le rôle et la responsabilité d’héberger le bureau de poste. Sauf qu’un mois plus tard Mathias cède le mandat à sa femme, Angeline Thibeault, qui a exercé la fonction de 1944 à 1952 à Cloridorme Sud. Madame Angéline est maîtresse de poste jusqu’à son décès qui survient le 20 décembre 1962, à 57 ans. On ne peut qu’être frappé par les similitudes entre sa mort et celle de Jean-Baptiste Pelchat. Pendant son mandat, le bureau de poste loge dans l’hôtel Gaspé-Nord, que Mathias Côté a acheté vers 1952, et qui sera démoli deux ans après l’ouverture du bureau, en 1958. Il se poursuivra dans leur nouvelle maison. À la mort de sa mère, Thérèse, femme de Didace Caron, assure la transition pendant deux mois.

En février 1963, Lucille Pelchat est de retour et elle reprend le mandat de maîtresse de poste, cette fois à part entière. Le bureau retraverse la route et revient dans la maison de Jean-Baptiste Pelchat, son père; après ses pérégrinations, le service postal échoit de nouveau entre les mains d’un membre de la famille d’Irénée le postillon pour y demeurer. Lucille reçoit l’aide de sa sœur Julia qui ouvre un petit dépanneur dans la partie est de la maison. Madame Régina décède le 21 octobre de la même année, à l’âge de 78 ans. Le temps file, puis Lucille se marie avec Armand Bernatchez, le 3 juillet 1971. Comme elle met en pratique le proverbe qui veut que celle « qui prend mari, prend pays », la voici qui déménage à Marsoui.

À ce moment-là, Jovette, nièce de Lucille, commence à se familiariser avec le métier. Le 17 novembre 1972, elle devient officiellement la maîtresse de poste de Manche-d’Épée. Fille d’Irénée dit René, elle entreprend son mandat, à quelques mois près, 40 ans après celui de son grand-père Jean-Baptiste, et elle l’exercera jusqu’en 2012, soit pendant 40 autres années. Son sourire et son humour pince-sans-rire demeurent associés à une visite au bureau de poste. Depuis des décennies, Postes Canada implante des boîtes communautaires pour la livraison du courrier. L’entreprise attend le départ à la retraite de Jovette pour installer celles du village à l’intersection de la rue Principale et de la rue de la Rivière.

L’influence de la partisanerie politique sur l’attribution des mandats d’ordre public fait partie de l’histoire : la voirie, la poste et les bureaux de scrutin en sont quelques exemples. Ce qui se vérifie à l’échelle nationale se répercute dans le favoritisme local, chez les organisateurs d’élection, les poteaux des partis et les amis des députés. Partant de cette prémisse, j’ai tenté d’établir une corrélation entre le parti au pouvoir à Ottawa et l’attribution du bureau de poste. Tout en admettant le fondement de la prémisse, il se révèle difficile d’associer les changements de pouvoir et la nomination des maîtres de poste locaux.

Par exemple, pendant l’exercice de sa fonction de 1905 à 1929, Stanislas Fournier a vu les libéraux au pouvoir de 1905 à 1911, les conservateurs de 1911 à 1921 et le retour des libéraux de 1921 à 1930. Entre 1932 et 1952, Jean-Baptiste Pelchat et sa femme Régina Davis voient un gouvernement conservateur jusqu’à 1935, puis un libéral de 1935 jusqu’à la fin de leur engagement. C’est sans doute pendant la période de 10 ans qui va de 1952 à 1962, là où l’on dénombre pas moins de cinq changements de maître de poste, que cette partisanerie se manifeste puisqu’elle commence sous les libéraux qui sont remplacés à mi-chemin par les conservateurs en 1957. On conviendra que la remise en question des pratiques partisanes par la Révolution tranquille a fait en sorte qu’elles ont perdu de leur importance à compter de ce moment-là.

Les bureaux dans les alentours

Le bureau de Manche-d’Épée ouvre en 1905. Qu’en est-il des villages voisins, se demande-t-on avec une curiosité intéressée?

Nous apprenons que le maître de poste de Rivière-Madeleine, de 1872 à 1878, n’est nul autre qu’Edward Vachon qui exploite une entreprise forestière au sud du lac au Diable. La durée de son mandat correspond à peu de choses près à celle de son séjour dans la région.

Ensuite, Alexandre Campion prend la relève pendant un an; ce pourrait être le frère de Caroline et de Geneviève bien connues à Manche-d’Épée. Enfin, remarquons que Narcisse Richard, premier maire de la municipalité, est aussi maître de poste dans son village de 1888 à 1897.

À Madeleine-Centre, l’histoire est courte, puisque le premier à occuper la fonction est Alexis Caron, à compter de 1889, et qu’ils seront quatre de la même famille à s’en charger au long des années.

Sainte-Anne-des-Monts représente un cas particulier, puisque le bureau joue un rôle pivot dans la région. John Perry, que Timothée Auclair appelait Tom, commence sous le régime anglais, en 1853, et termine sous le ministère canadien des Postes en 1875.

Mont-Louis présente aussi une situation exceptionnelle : un maître de poste officie pendant un an, en 1853. Il s’agit d’un dénommé P.P. Fortin; peut-être s’agit-il de l’inspecteur des pêcheries du temps qui portait ce nom. Le bureau est fermé et lorsqu’il rouvre, Louis Saintange est le premier à s’inscrire dans la continuité de 1868 à 1871. Considérant les liens qui unissent les pionniers de Manche-d’Épée à Mont-Louis, ils pouvaient aller dans cette direction en cas de besoin.

Le cas de Rivière-à-Claude tient pour beaucoup à la personnalité de Timothée Auclair qui, après avoir été postillon, devient maître de poste de son village en 1879. Il abandonne en 1926 à l’âge de 88 ans.

Enfin, Mont-Saint-Pierre, en 1904, avec Prudent Cloutier, Gros-Morne la même année avec Pierre Levesque et Ruisseau-des-Olives, en 1907, avec Louis Lemieux junior complètent ce tour des environs.

Des lettres, des journaux, des colis et bien plus

Tout comme les modes de livraison et d’expédition du courrier évoluent pendant l’existence du bureau de poste, le recours à ses services se transforme au fil du temps au regard de l’offre et des besoins.

L’envoi d’une lettre ou l’affranchissement d’une enveloppe demeure une opération relativement inchangée. Toutefois, le volume se modifie : vers 1972, le bureau de Manche-d’Épée reçoit deux malles par jour, la première très tôt le matin et la seconde vers 14 h. Avec les années, la quantité diminue considérablement, non seulement à cause de la perte de population, mais aussi parce que la révolution numérique change les manières de procéder : les courriels et les virements bancaires remplacent les lettres et les mandats postaux. En 40 ans, le nombre de cartes de Noël a diminué de 90 %.

Pendant plusieurs décennies, plus particulièrement des années 1930 à 1970, l’abonnement à un journal constitue la manière la plus satisfaisante d’être informé. C’est de notoriété que les rouges lisent Le Soleil et que les bleus dévorent L’Action catholique. Évidemment, compte tenu de l’heure de parution en ville, le Gaspésien apprend à vivre avec des nouvelles qui accusent un jour de retard. On voyait les retraités se précipiter à l’ouverture du guichet pour récupérer leurs gazettes20. Un jour, L’Action catholique disparaît et plus tard Le Soleil effectue sa propre distribution.

Le « Théâtre Blanchette » utilise aussi la poste pour la circulation des boîtes de film entre 1954 et 1967 environ. Celle de la série, c’est-à-dire la première partie du programme, est petite et légère; par contre, le long métrage peut tenir en deux ou trois boîtes et représenter un poids certain si le film est en 35 mm.

Les catalogues21 font rêver des générations, surtout quand Noël approche, mais pas uniquement en cette période, car en l’absence de magasin à grande surface, la commande « dans le catalogue » constitue le moyen le plus facile de combler ses besoins. Dupuis Frères met sur pied son service postal en 1922. Celui d’Eaton apparaît en 1927. La vente par correspondance devient la manière courante de s’habiller, d’acheter des petits appareils ménagers, des outils, des lampes, de la verrerie, etc. Les magasins offrent des modalités de paiement. Il y a bien sûr le mandat postal, mais celui que l’on utilise régulièrement est « l’envoi contre remboursement », une formule qui, en anglais, se dit collect on delivery, résumée en trois grosses lettres sur l’étiquette C.O.D. Dans le langage courant, cela se traduit par « ciodé » comme dans l’expression : « va donc voir à malle, j’attends un ciodé ». À une époque antérieure à celle de la patinoire, le catalogue glissé dans une jambe de pantalon fait office de jambière, à condition qu’il tienne en place. Dupuis Frères cesse de publier son catalogue en 1963, l’année précédant celle de l’ouverture de la patinoire; pour ceux qui n’avaient pas encore acheté leurs jambières, Eaton attend en 1976 pour retirer le sien. Dernier appel, en 1980, Simpson Sears abandonne à son tour.

Par conséquent, le volume de courrier diminue considérablement, encore plus lorsque ceux qui commandaient leur boisson des Fêtes prennent l’habitude de se rendre à la Société des alcools pour se procurer leurs flacons.

Une maîtresse de poste ne se trouve jamais à l’abri d’une surprise : certains colis peuvent être plus sonores (et odorants?) que d’autres, surtout quand il s’agit de manipuler un carton rempli de poussins comme cela est déjà arrivé.

Dans un bureau de poste, il y a le service à la clientèle qui représente une partie importante de la tâche, mais on a évidemment d’autres obligations comme celle de faire la comptabilité, appelée « compte de caisse », et de l’expédier aux autorités, aussi loin qu’à Ottawa à une certaine époque. Parlant des autorités, elles émettent plusieurs fois par mois, et cela de tout temps, des directives qu’on doit mettre en application et dont on doit informer son supérieur pour l’assurer que tout est dans l’ordre, et ce, sans oublier un surveillant qui organise deux réunions par année où tout maître de poste est tenu de se rendre.

Les descendants des postillons

Un village fondé par un postillon est-il favorisé plus qu’un autre envers le service postal? Sans doute pas, comme nous l’avons vu. Toutefois, il demeure que l’empreinte du fondateur s’est transmise, à un point tel que sur les 107 années pendant lesquelles le bureau de poste a été ouvert, le maître de poste en service avait un lien familial avec Irénée au cours de 70 d’entre elles. Un beau hasard de l’histoire.

Cela étant, ce lien de parenté n’est pas le seul qu’une famille du village entretient avec un courrier des premiers temps. Revenons au tout premier d’entre eux, Barthélémy Robinson. Lui aussi a une descendance à Manche-d’Épée. Barthélémy naît en 1794 et il a 61 ans lorsqu’il devient postillon. Sa femme se nomme Marie-Anne Saint-Pierre. Leur petite-fille, Mathilde, épouse Dominique Boucher, en 1877. Le couple donne naissance à un fils prénommé Georges, lequel se marie avec Georgianna Servant, en 1906. De cette union naît Gérard Boucher dont la femme est Estelle Gaumond22.

Là où les ressorts de l’histoire se révèlent étonnants, c’est que Georges, fils de Gérard et d’Estelle, donc lui aussi descendant d’un postillon, est le mari de Jovette Pelchat, la maîtresse de poste demeurée le plus longtemps en fonction. Finalement, Manche-d’Épée était peut-être prédestiné autrement que les villages des alentours en ce qui a trait au service postal.

Remerciements:

Je remercie Jovette Pelchat d’avoir partagé ses souvenirs et Blandine Mercier pour sa collaboration.

Je remercie Marlène Clavette pour la révision de texte.

Notes et références:

1. Timothée Auclair, « Gaspé-Nord en 1860 », Revue d’histoire de la Gaspésie, vol I, no 4, octobre-décembre 1963, p. 178-179. Cet article a d’abord été publié par La Presse, en février 1923.

2. Ibid., p. 179.

3. Jean de Bonville (1988), La presse québécoise de 1884 à 1914, genèse d’un média de masse, Québec, PUL, p. 21.

4. Ferdinand Bélanger, « Le service postal le long du chemin Kempt », Bulletin d’histoire postale et de marcophilie, no 104, avril-juin 2009, p. 5.

5. Ibid.

6. Marc Desjardins, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu (1999), Histoire de la Gaspésie, Sainte-Foy, PUL/IQRC, p. 187.

7. Firmin Létourneau, « La Côte Nord de Gaspé, le passé », Revue d’histoire de la Gaspésie, vol I, no 1, janvier-mars 1963, p. 37.

8. Marc Desjardins, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu (1999), op. cit., p. 520.

9. Alain Ripaux (2002), « Les Postes canadiennes de la Nouvelle-France à nos jours », Le Québec, une Amérique française par Alain Ripaux et Nicolas Prévost, Éditions Visualia, repris dans Mémoires vives, Bulletin no  23, décembre 2007, p. 2.

10. Ibid.

11. Ibid.

12. Timothée Auclair, op. cit., p. 179.

13. Ibid.

14. Alain Ripaux (2002), op. cit.

15. John Willis, « L’importance sociale du bureau de poste en milieu rural, 1880-1945 », Histoire sociale, Université d’Ottawa, vol. 30 no 59, 1997, p. 160.

16. Ibid., p. 162.

17. Toutes les données sur les bureaux et maîtres de poste des deux chapitres suivants proviennent de : http://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/patrimoine-postal-philatelie/bureaux-maitres-poste/Pages/recherche.aspx

18. Marcel Plamondon (1980), Notes historiques sur la paroisse de Madeleine, Madeleine, p. 66.

19. http://vacanceshaute-gaspesie.com/entreprise/maison-a-feda-312.php

20. Celui ou celle que le sujet intéresse retrouvera dans Anthime et autres récits, Québec, Les Éditions de l’Instant même, 2014, p. 63-66, sous le titre « Cinq pouces à côté d’la mappe », la version fictive que je donne de cette lecture décalée du journal.

21. Les renseignements sur les ventes par catalogue sont tirés de l’article : Gaëtanne Blais, « Lisez toutes les clauses ou comment la poste s’est mise au service de la vente par catalogue », Musée virtuel.ca http://www.museedelhistoire.ca/cmc/exhibitions/cpm/catalog/cat2506f.shtml et de « L’histoire des catalogues » http://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/patrimoine-postal-philatelie/catalogues-vente-correspondance/Pages/catalogues-histoire.aspx-a

22. Les références généalogiques données ici proviennent du site suivant : http://www.nosorigines.qc.ca/genealogie.aspx?lng=fr

 

 

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